KENGO KUMA : LE MAîTRE JAPONAIS INCONTESTé DE L’ARCHITECTURE MODERNE

Il marie le bambou au béton, réconcilie la nature et la technologie, et navigue entre passé et futur, orient et occident. Bienvenue dans le monde de Kengo Kuma, maître incontesté de l'architecture contemporaine.

Avec une volonté de fer, Kengo Kuma offre, à travers le monde, un spectacle d'architecture qui mêle les éléments naturels à des matériaux bruts en imprégnant ses œuvres de ses racines japonaises.

Entre tradition et modernité, le maître de l'architecture façonne ses idées

C’est un homme de peu de mots, qui aime à rappeler qu’il est «  juste un petit être  », et surtout pas «  une personne parfaite et sans défaut  ». Pourtant, sous son allure bonhomme au style minimaliste, Kengo Kuma a le goût de la démesure. Depuis l’ouverture de son studio, en 1991, le Japonais a signé plus de 400 projets à travers le globe. Une villa de bois et de verre cachée dans une forêt du Connecticut, une maison de thé au beau milieu des buildings de Vancouver, un bâtiment inspiré des falaises locales pour l’antenne écossaise du Victoria & Albert Museum, un jardin japonais à Portland, un complexe d’envergure entièrement fait de bois clair au sein de la station thermale de Yamagata, la rénovation de l’ancienne demeure du couturier Kenzō Takada à Paris… Kengo Kuma est partout.

Un voyage en solitaire à travers le monde pour puiser son inspiration

Né en 1954 à Yokohama, le Japonais connaît sa première épiphanie architecturale à dix ans, lorsqu’il découvre le gymnase olympique de Yoyogi, réalisé par l’urbaniste star Kenzō Tange pour les Jeux olympiques de Tokyo 1964. Deux tours de béton brut, évoquant tout à la fois une goutte s’écrasant au sol, la coquille d’un gastéropode et une pagode japonaise. Un ovni dans un paysage tokyoïte alors encore majoritairement composé de bois. «  Kenzō Tange et des bâtiments qui touchent le ciel étaient les buts que je me fixai », se souviendra, des années plus tard, Kengo Kuma dans la monographie XXL Kuma. Complete Works 1988–Today (Taschen, 2021).

Très tôt, le Japonais fait pourtant preuve de singularité. Il cherche à s’écarter des préceptes de l’architecture traditionnelle japonaise, tout en rejetant le modernisme qui a alors le vent en poupe. Lui-même est tiraillé entre Orient et Occident. « Je possède un bagage international, raconte-t-il ainsi dans sa monographie. Lorsque j’étais enfant, je suis allé dans un jardin d’enfants protestant, puis un collège et lycée jésuite. […] Le résultat de cette éducation est que je me sens souvent entre le Japon et l’Occident ou d’autres cultures. »

Ni tout à fait Européen ni tout à fait Japonais (même s’il accepte que l’on définisse son architecture comme « orientale »), Kengo Kuma va alors tracer sa route en solitaire. Au fil de ses études, il parcourt les quatre coins du monde pour «  trouver comment remplacer le béton et l’acier ». « Je suis allé dans le Sahara et j’ai vu des maisons faites de briques séchées au soleil. J’ai visité des îles japonaises et j’ai réfléchi au charme des petites maisons en bois, se remémore-t-il. J’ai acquis la certitude que les petites constructions basses étaient beaucoup plus attachantes et que l’ère des immenses bâtiments en hauteur avait pris fin. »

Une carrière marquée par des projets grandioses

Étonnamment, la première réalisation de Kuma est à mille lieues de ses convictions. En 1990, en périphérie de Tokyo, sort de terre le M2, à la demande du constructeur automobile Mazda. Au centre du bâtiment trône une colonne surdimensionnée coiffée d’un chapiteau ionique, entourée d’arches faites de panneaux de béton. « Le bâtiment est un mélange chaotique de fragments réalisés à partir de différents styles architecturaux, matériaux et échelles », admet lui-même l’architecte sur son site. Lui qui faisait ses adieux au postmodernisme dans Good-Bye Postmodern –  11  American Architects (1989) en construit finalement le plus marquant des emblèmes. Les débuts de Kengo Kuma se heurtent cependant rapidement à l’éclatement de la bulle spéculative japonaise.

C’est la fin du « miracle The Great Bamboo Wall à Pékin, Chine. The Great Bamboo Wall in Beijing, China. japonais », cette période faste au cours des années 1980 pendant laquelle le pays est leader mondial dans les secteurs de la banque, de l’électronique et de l’automobile. Débute alors la «  décennie perdue  ». L’architecte, qui ne reçoit aucune commande à Tokyo, se tourne vers la campagne japonaise. Il y redécouvre des savoir faire ancestraux, et un goût pour l’artisanat et les matières naturelles, dont le bois. Fort de ces pérégrinations, Kengo Kuma établit une vision claire de son architecture : « La nature doit être ressentie à tout moment, et “vécue”. »

L’un des exemples les plus parlants de cette philosophie se trouve sans doute à Pékin. La Grande muraille de bambou, une demeure réalisée en 2000 non loin de la Grande muraille de Chine, réunit tout ce qui fait le style Kuma, qu’il décrit lui-même comme la « coexistence de la transparence et de la chaleur ». L’ultra-modernité des lignes s’oppose au terrain accidenté, que l’architecte a refusé d’aplanir, tandis que béton et bambou s’unissent –  ayant tendance à se fendre en séchant, ce dernier doit être consolidé de l’intérieur.

Propulsé sur le devant de la scène, il réalisera le stade national de Tokyo en 2019

Une fois propulsé sur le devant de la scène internationale, Kengo Kuma creuse le sillon de cette «  architecture vaincue  », comme il l’a baptisée. « Cette démarche est totalement opposée à l’ère de l’expansion et de la croissance économique […], explique encore l’architecte dans sa monographie. J’aimerais tirer parti de cette sagesse pour créer des structures de notre temps. […] Pour aujourd’hui et pour demain, nous allons dorénavant construire avec des matériaux entièrement différents. » En 2019, Kengo Kuma est nommé en remplacement de Zaha Hadid pour réaliser le stade national de Tokyo dans le cadre des 32es Olympiades – un bâtiment ovale recouvert de fines bandes de pin et de cèdre provenant de tout le Japon –, bouclant ainsi la boucle ouverte 55 ans plus tôt, lorsqu’il avait découvert le travail de Kenzō Tange, et liant, une fois n’est pas coutume, passé et présent.

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